Soja

Le Krach du sperme ou “Le soja est-il un perturbateur endocrinien ?”

Le Krach du sperme
Alors que le débat fait rage sur la définition des perturbateurs endocriniens et que certains “experts” souhaitent mettre les molécules présentes naturellement dans certains végétaux consommés sans danger sur le même plan que les molécules de synthèse, il m’a semblé intéressant de vous partager un extrait de le livre sorti en 2010 et toujours d’actualité : “Le Krach du sperme”, dont je vous recommande vivement la lecture.
Tout est parti du livre Blanc de l’industrie du chlore diffusé en novembre 2006 par Belgo-Chlor sur Internet. Après avoir mentionné que les statistiques accusaient une augmentation des cancers et une diminution de la fertilité « chez certains animaux », l’auteur ou les auteurs de ce livre blanc réfutaient les soupçons portés sur « les produits chimiques » accusés d’être des perturbateurs endocriniens. Suivait un exposé sur les oestrogènes, intitulé « Les oestrogènes sont-ils indésirables ? », avec cette assertion : « C’est par l’alimentation que l’homme est le plus exposé aux oestrogènes. » Et quelques lignes plus bas, on y retrouvait un suspect bien connu, le soja, en compagnie d’un nouvel acolyte, le brocoli !
L’accusation se fondait sur le fait que cette légumineuse contient des phyto-oestrogènes, nom des hormones végétales. Donc, c’était elle qui provoquait l’oligospermie masculine [quantité anormalement basse de spermatozoïdes], et même le cancer du sein chez les femmes. On eût pu craindre une razzia vengeresse contre les restaurants asiatiques, comme on le sait grands pourvoyeurs de plats à base de soja. Puis sur les boutiques végétariennes, qui proposent, en effet, de pleins cageots de brocolis…
(…) Le premier coup de sifflet retentit en 1993. Une série de travaux démontra que non seulement le soja ne pouvait causer de cancer du sein, mais qu’il protégeait même les femmes contre cette maladie (1).
Mais le mensonge avait survécu et, quand l’hypothèse d’un rapport entre l’obésité, l’infertilité masculine et les troubles endocriniens prit corps, le soupçon se fixant alors sur les perturbateurs endocriniens, les défenseurs de l’industrie chimique reprirent confiance ; le soja fut remis sur la sellette. Quelques travaux, tels que ceux entrepris en 2008 par des chercheurs de la Harvard School of Public Health (2), leur offrirent un argument de poids.
Ayant consulté les experts d’une clinique de fertilité, ils avaient sélectionné 99 sujets masculins qui se plaignaient évidemment de stérilité. Les participants à cette étude ont rempli des questionnaires précisant leur consommation d’aliments contenant du soja : tofu (fromage de soja), tempé, lait de soja ou produits contenant des quantités appréciables de soja, saucisses, viandes préparées, fromage, boissons, barres énergétiques, crèmes glacées et autres. Car les chercheurs exploraient une hypothèse déjà en cours, sur les rapports entre les isoflavones et le taux de spermatozoïdes.
Il apparut que ceux qui consommaient le plus de soja, soit l’équivalent d’une tasse de tonyu, le « lait de soja », ou d’une part de tofu tous les deux jours, avaient le sperme moins riche en spermatozoïdes que ceux qui n’en consommaient pas : 60 millions de spermatozoïdes au millilitre contre 100 millions chez les autres. Et la différence était assez marquée pour exclure une erreur d’interprétation. « Ah, on tient le coupable ! », s’empressèrent de conclure non les chercheurs de la Harvard School of Public Health, mais les zélotes de l’industrie chimique.
Las ! Un point leur avait échappé. Les auteurs avaient pris soin de relever que, parmi les sujets de leur enquête, le nombre d’obèses était très élevé : 72 % du groupe. Et ces mêmes chercheurs avaient évoqué une tout autre hypothèse : c’était peut- être leur obésité qui rendait certains sujets plus sensibles aux phyto-œstrogènes de l’environnement.
Un gros, un très gros lièvre même, un lièvre obèse, venait d’être levé.
Les défenseurs de l’industrie chimique n’en avaient cure. (…)
Peut-être auraient-ils été avisés d’aller effectuer des études épidémiologiques en Asie, grande consommatrice de soja depuis mille ans. Car, selon leurs arguments, les Asiatiques devaient être dévastés par le cancer du testicule, l’azoospermie, les enfants malformés, et l’homosexualité devait y très répandue… Les Asiatiques devaient même avoir disparu de la planète. Et tant qu’à chercher des oestrogènes naturels dans l’alimentation, ils auraient pu incriminer ceux du café. Car, si en général on l’ignore, cette boisson courante en contient. Non… Ils en avaient après le soja.
L’argument traîne encore, cependant, dans certains débats consacrés à l’azoospermie, à la stérilité masculine et féminine, aux troubles endocriniens et à l’obésité, axé sur la même
argumentation : notre alimentation contiendrait bien plus d’hormones que les quelques races de perturbateurs endocriniens présents dans les produits chimiques.
Le régime alimentaire asiatique est depuis des siècles basé sur le riz, le soja, le thé et, partout où c’est possible, comme dans l’archipel japonais, le poisson et les produits de la mer.

Le soja est une plante grimpante oléagineuse, de la famille des légumineuses, dont on consomme les graines. C’est la plante la plus cultivée au monde, donc la plus consommée ; la cuisine asiatique – l’une des cuisines-mères de la gastronomie – l’accommode sous les diverses formes citées plus haut, plus le miso, pâte fermentée. Ses composants et sa valeur alimentaire ont été abondamment étudiés. La fève de soja contient de la lécithine, acide gras insaturé, et de la choline, précurseur de l’acétylcholine, essentielle à la formation des cellules nerveuses. L’huile de soja contient un antioxydant, le coenzyme Q-10. Les phyto-oestrogènes sont présents à des taux variables dans le soja et ses composés. Mais leur rôle est bien différent de celui qu’on a prétendu leur accorder.

En tout état de cause, le phyto-oestrogène du soja, la génistéine, a été formellement disculpé par les National Institutes of Health (NIH) américains. Ayant examiné les résultats d’expériences menées sur l’homme et l’animal, un conseil de quatorze scientifiques a conclu, le 17 mars 2006, que le soja alimentaire ne présentait pas de danger (3).
1. Davis D.L., Bradlow H.L., Wolff M. et al., « Medical hypothesis : xeno –
estrogens as preventable causes of breast cancer », Environmental Health
Perspectives, 1995, 101, 372-377. (PubMed: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8119245)
2. Chavarro J.E., Toth T.L. et al., « Soy food and isoflavone intake in relation
to semen quality parameters among men from an infertility clinic »,
Human Reproduction, 23 juillet 2008. (PubMed : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18650557)
3. « Soy “hormone” OK », New Scientist, 25 mars 2006.
Ecrit par le Dr Pierre Duterte et Gérald Messadié, ce livre passionnant, très bien documenté, se lit comme un roman. Il est toujours autant d’actualité et permet de comprendre les enjeux du débat sur les perturbateurs endocriniens. Cliquez sur l’image de la couverture pour en savoir plus :
Krack de Sperme
Descriptif du livre
“En 50 ans, la population mâle européenne a vu son taux de fertilité diminuer de moitié. À ce rythme-là, en 2060, le taux de spermatozoïdes ne sera plus que le quart de ce qu’il était en 1950. Le nombre de cancers du testicule et de malformations congénitales de l’appareil reproducteur masculin ne cesse de croître. Pourquoi ?
Le Krach du sperme met à jour les causes de ce constat alarmant en expliquant les résultats des recherches scientifiques modernes. Au banc des accusés, des molécules mises sur le marché – PCB, DDT, bisphénols, phtalates, pesticides – semblent être à l’origine de cette baisse de la fertilité chez les hommes. L’ouvrage s’interroge sur d’autres pathologies que pourraient créer ces produits : obésité, troubles du comportement, cancers chez les moins de 15 ans…
Toutefois, des solutions existent, qui passent par une prise de conscience collective de ce problème et une volonté de mettre en oeuvre de vrais changements de comportements.”

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