La naturalité des fruits et légumes
Savez-vous d’où proviennent ces végétaux consommés aujourd’hui en France, tels que les fèves, les pois, les haricots, les oignons, les salsifis, les pommes de terre, les melons, les citrouilles, les tomates, les fraises à gros fruits ? Et savez-vous depuis quand ?
Les fruits et légumes actuels n’ont plus qu’un très lointain rapport avec leurs “ancêtres” botaniques d’origine. Par exemple, la carotte commune que nous mangeons n’a plus grand chose à voir avec la carotte sauvage dont elle est issue par la sélection et la domestication par l’homme. Elle serait même incapable de vivre dans son milieu naturel d’origine !
Pourtant, la naturalité est un concept qui semble bien porteur puisqu’associé dans notre inconscient collectif à une nourriture naturelle et donc forcément saine. Il faut toutefois savoir que si nous devions revenir à une alimentation d’il y a quelques centaines d’années (pas besoin de remonter jusqu’à la préhistoire), nous ne pourrions manger aucun de nos fruits et légumes actuels puisqu’ils n’existaient pas tels quels à l’état sauvage.
Voyons un peu ce qu’il en est grâce à cet extrait que j’ai sélectionné dans le livre “Légumes et fruits, quelle naturalité aujourd’hui ? Le rôle des saisons, des cycles et des rythmes biologiques”. Je vous recommande sa lecture, passionnante ; elle ravira tous les amoureux de la nature qui nous a offert les fruits et légumes, largement améliorés par la main de l’homme.
Domestication et migration
Tous les légumes et fruits que nous consommons, ont de grands ancêtres sauvages que l’on retrouve dans les flores des divers pays d’où ils sont originaires avant le début de leur domestication par l’homme il y a 15 000 à 20 000 ans. L’homme, pour son seul usage, a soustrait ces plantes à leur milieu initial en les cultivant dans des lieux protégés, le jardin, mais également en dehors de la concurrence ou de la synergie des autres plantes qui formaient leur habitat naturel. Les carottes sauvages, par exemple, qu’il est possible de rencontrer dans certaines prairies en France n’ont en aucun cas les conditions de vie et de développement de celles qui ont été semées dans le potager.
Cette domestication entreprise depuis des millénaires a entraîné des modifications lentes mais continues du comportement des plantes vis-à-vis de leur environnement, au point que bien des espèces actuelles de légumes sont dans l’incapacité de pouvoir survivre seules dans le milieu naturel. Les plantes sont devenues inféodées à l’homme et à ses pratiques.
En Europe occidentale, la diversité naturelle des légumes et des fruits est réduite, car la flore dans sa globalité n’est guère diversifiée contrairement à celle du Levant, de l’Extrême-Orient (Chine-Japon) ou celle des régions tropicales. Ce constat fera dire à un personnage à l’initiative de très nombreuses expériences d’acclimatation de nouveaux légumes et fruits à la fin du XIXe siècle :
« Réduite à ses seules productions naturelles, la France n’aurait, pour ainsi dire, pas de légumes. Les fèves, les pois, les haricots, les oignons, les salsifis, les pommes de terre, les melons, les citrouilles, les tomates, les fraises à gros fruits et trente autres plantes potagères usuelles lui feraient défaut (1). »
D’où nous viennent les plantes de nos potagers et vergers ?
Depuis la fin des dernières grandes glaciations (20 000 ans environ) et la relative stabilité du climat, l’homme a repris possession de très grands territoires. Par le jeu des migrations successives et des échanges, il a introduit quelques-unes des plantes qu’il considérait comme indispensables à sa vie voire sa survie, que ce soit des céréales, des plantes textiles, des arbres fruitiers ou autres plantes herbacées alimentaires ou médicinales.
Sans reprendre l’histoire de toutes les plantes entrant dans notre alimentation, ni l’ensemble des périodes de leur introduction, nous allons néanmoins en évoquer quelques-unes.
La première période d’introduction qui débute vers le IVe millénaire av. J.-C. pour se terminer au Ve siècle apr. J.-C., est tributaire des déplacements des peuples en provenance de l’Asie centrale et du Caucase. Ce sont essentiellement des arbres portant des fruits consommables devenus fort communs comme les pommier, poirier, cognassier, noisetier en provenance du Caucase ou d’Asie centrale avec les cerisier, pêcher, amandier, abricotier, pistachier, noyer. En revanche, c’est du Moyen-Orient que provient la culture des céréales, des légumes secs stockables comme les fèves, lentilles, pois, ainsi que de nombreuses autres plantes potagères comme les radis, chicorée, oignon, poireau, concombre, etc. Les Égyptiens, les Hébreux et les Assyriens cultivaient et consommaient ces plantes régulièrement.
La seconde grande période est le Moyen Âge européen avec la filière arabo-persane. En effet, l’effondrement de l’Empire romain (Ve siècle) aurait entraîné la régression de plusieurs plantes cultivées et la perte d’un certain nombre de savoir-faires. Progressivement au cours du Moyen Âge, le réseau des monastères prend le relais et de nouvelles plantes sont introduites, dont l’angélique en provenance de la Scandinavie ou le raifort des pays slaves. Mais la présence en Espagne andalouse des Maures avec leurs systèmes sophistiqués de culture, fait découvrir l’épinard, la pastèque, l’artichaut ou encore l’aubergine. En Italie, la diversification des plantes potagères se poursuit avec l’apparition des formes modernes de betterave, de céleri ainsi que du chou cabus blanc. C’est durant cette longue période que les agrumes connus, c’est-à-dire le cédratier, le citron, l’orange amère – tous originaires d’Extrême-Orient – se répandent sur le pourtour méditerranéen.
À la Renaissance, des vergers d’agrumes existent sur les bords du lac de Garde et Augustino Gallo en 1569 parle de leurs productions :
« On tire profit de leurs citrons pour les manger en salade, pour les garder avec du vinaigre ou les confire avec du miel et du sucre, celle des orangers pour en faire des eaux de senteurs fort rares et précieuses. Quant aux oranges belles et mûres, chacun sait combien on les prise aux banquets et pour les confitures. Outre ce que de l’écorce des oranges on fait de bonne moutarde, de l’orangée, pain d’épices et autres délicatesses… »
La découverte de l’Amérique et surtout l’inventaire progressif de sa richesse floristique vont avoir à terme des répercussions sur l’alimentation de très nombreuses populations à travers le monde. Après 1492, date de la découverte officielle de l’Amérique par Christophe Colomb, les légumes et fruits de ce vaste continent vont progressivement arriver en Europe. Ce sont des plantes qui vont prendre au fil des siècles, une importance primordiale dans l’alimentation, la pomme de terre, la tomate, les haricots, le maïs auxquelles il faut ajouter les courges, les piments et autres poivrons. Il ne faudrait pas oublier les fraisiers à gros fruits en provenance de Virginie et des îles Chiloé qui se sont substitués à nos fraisiers des bois et fraisiers musqués.
L’Asie orientale possède de nombreuses richesses mais peu de légumes ont pris place dans nos potagers si ce n’est le chou chinois et les germes de soja (Vigna radiata). Pourtant à la fin du XIXe siècle, tant en France qu’en Angleterre, des scientifiques et des collectionneurs vont faire des essais d’acclimatation et de culture et montrer que bien des légumes d’Asie pourraient être cultivés sans difficulté sous nos climats (2). Cet échec relatif montre le fossé qui existe entre l’introduction d’une plante et l’intérêt des consommateurs pour ce qui est nouveau.
La tétragone qui se substitue en été à l’épinard, est la seule plante en provenance de l’hémisphère sud (Nouvelle-Zélande). Quant aux végétaux alimentaires originaires de l’Afrique, ce sont les régions tropicales qui bénéficieront de Vigna unguiculata, un haricot tropical que l’on retrouve dans les cuisines de l’île de la Réunion, des Caraïbes, du Brésil, tout comme l’aubergine africaine, Solanum aethiopicum.
Mais il ne faut surtout pas oublier quelques-unes des plantes sauvages qui sont à la base de certains de nos légumes comme le chou, la laitue, la carotte. Les choux cultivés ont comme ancêtre le chou sauvage, Brassica oleracea subsp. oleracea, chou des dunes, des zones de galets et des falaises littorales de l’Europe de l’Ouest. Toutes les laitues sont issues de l’espèce sauvage Lactuca serriola qui pousse spontanément dans les clairières, les pentes rocailleuses et les terrains vagues depuis l’Asie et l’Afrique du Nord jusqu’au nord de l’Europe. Quant aux carottes actuelles, elles sont issues de Daucus carotta, carotte sauvage des prairies, des bords de chemins et de champs de l’Europe océanique. La sauvegarde de ces trois espèces sauvages est importante pour l’avenir et la création de nouveaux cultivars car elles possèdent la diversité génétique de l’espèce et l’ensemble des potentialités pour les futures générations de ces trois plantes sauvages.
L’apport relatif en légumes et en fruits des divers continents est en partie dû à la diversité de leur flore sauvage et domestiquée, mais surtout aux climats qui y règnent et de leur possible adaptation.
La notion de naturalité a été profondément modifiée par l’accélération des vitesses de transport sans doute plus que par les modifications des cycles naturels des plantes. Les productions du sud de la France, arrivent aujourd’hui à Paris après quelques heures de camion alors qu’il fallait plus d’une semaine dans les années 1820. Il en est de même pour celles d’Extrême-Orient ou de l’hémisphère sud où quelques jours suffisent ; nous sommes bien loin des deux à trois mois de navigation du XIXe siècle !
1. Pailleux A., Bois D., Le potager d’un curieux, histoire, cultures & usages de 250 plantes comestibles peu connus ou inconnus, Paris, 1899, 3e édition, introduction à la première édition.
2. Cf. en particulier l’ouvrage de Pailleux A., Bois D., op.cit., troisième édition entièrement refaite.
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Pour aller plus loin : découvrez le livre de Mériadec de La Bouëre, il est passionnant, vous m’en direz des nouvelles.
Illustrations de Marie Maher.
Portez-vous bien !
Florian KAPLAR
Diététicien-Naturopathe
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